Il y a quelques années encore, Hayley Williams était connue non seulement pour la puissance de sa voix et ses choix capillaires audacieux, mais aussi pour l’aura générale de confiance en soi et de positivité qu’elle dégage, surtout sur scène. Mais ce qu’on voit d’une personne n’est jamais qu’une facette d’un tout. Le dernier album en date de son groupe Paramore – formé en 2004 et actuellement en pause, mais toujours d’actualité – en dit déjà quelque chose. Sous les joyeuses mélodies de la plupart des titres d’After Laughter (2017), la tristesse des textes ne sait se cacher bien longtemps. Quelques mois après la sortie du disque, la chanteuse est en tournée avec sa bande lorsqu’elle atteint un “tournant” de sa vie. “Comme un retour de Saturne. Je remarque du mouvement similaire dans les vies de mes ami.e.s, aussi. Plus de présence et de conscience. Plus de tendresse”, écrit-elle dans un article d’opinion pour Paper Magazine. Dedans, elle lève le voile sur les difficultés qu’elle a traversées ces dernières années et sur où elle en est désormais, mentalement. “Je vis la tristesse comme la joie, à présent. J’ai retrouvé mon rire d’avant, comme dit maman.”
Des pétales comme armure
Une fois de retour chez elle à Nashville, dans le Tennessee, elle décide de donner à sa santé mentale l’importance et le temps qu’il faut. Sa thérapeute lui conseille de faire de l’écriture un outil pour s’apprendre et se comprendre elle-même. En ressort un premier projet musical solo sorti en trois parties, entre février et mai 2020. Il suit son périple émotionnel, de la colère jusqu’à l’espoir. Un disque qui n’aurait pu se faire sans l’encouragement et la collaboration de ses fidèles amis et compagnons Taylor York et Zac Farro. Petals for Armor (littéralement “des pétales comme armure”) ne ressemble pourtant en rien aux compositions de Paramore, comme groupe, si ce n’est pour la voix de Williams, bien qu’elle s’autorise là des techniques vocales et dictions différentes, nouvelles. L’artiste joue des styles musicaux et des tempos, et présente des paroles plus honnêtes que jamais.
Dans Cinnamon, par exemple, elle décrit avec légèreté sa vie après un divorce, en 2017, qui a mis fin à une relation de dix ans : “On the walls of my home / There are signs that I’m alone / I keep on every light / Talk to my dog, he don’t mind” (“Sur les murs de chez moi / Il y a des signaux que je suis seule / Je laisse allumée chaque lumière / Parle à mon chien, ça ne le dérange pas”) Le tout sur un rythme jovial, dansant. Watch Me While I Bloom est, quant à elle, une célébration d’avoir retrouvé une meilleure santé physique à la suite d’une perte de poids malsaine causée, notamment, par l’anxiété. Elle chante, sur un son à la Janet Jackson : “How lucky I feel / To be in my body again / How lovely I feel / Not to have to pretend (…) I’m alive in spite of me / And I’m on the move” (“Comme j’ai de la chance / D’être dans mon corps à nouveau / Comme c’est agréable / De ne pas avoir à faire semblant (…) Je suis en vie malgré moi / Et je continue”)
Des sérénades pour soi
Mais alors qu’elle espère emmener cet album sur les routes au printemps, l’autrice-compositrice se retrouve, du jour au lendemain, confinée chez elle, comme une grande partie du monde. Pandémie oblige. En tête-à-tête avec son chien, Alf (qui a une bonne écoute, comme établi dans Cinnamon), elle se retrouve avec du temps, du temps et encore du temps. Elle choisit donc d’essayer de trouver du confort dans la lenteur et le calme de certaines choses. Comme préparer tranquillement du thé. “J’apprends à mettre du romantisme dans ma relation avec moi-même”, confie-t-elle dans une interview accordée à Zane Lowe. Et pour elle, cela passe par prendre le temps d’écouter de la bonne musique en dégustant son thé, sans distractions du monde extérieur. Mais aussi par se chanter des sérénades. Ces “self-serenades”, comme elle les nomme, à la guitare, elle en publie quelques-unes sur Instagram, à l’intention de qui de ses fans a aussi besoin d’un peu de douceur en ces temps d’isolation.
Sur cette même lancée, fin 2020, elle sort Petals for Armor: Self-Serenades, une collection de deux reprises acoustiques de son premier album et d’une chanson fraîchement composée. Find Me Here, de son nom, est une déclaration d’amour à ses proches, à qui il faut parfois laisser l’espace et le temps de surmonter eux-mêmes leurs propres difficultés et de s’en sortir. “C’est une leçon importante si on veut aimer quelqu’un comme il faut”, souligne-t-elle.
Des fleurs pour les vases
Et cette composition n’est pas le seul fruit créatif de la rétrospection et l’introspection qu’ont suscités des mois de solitude chez Hayley Williams. Ne rompant pas avec ses sessions de thérapie, elle enregistre sur son téléphone des bribes de réflexions par ci, des bouts de souvenirs par là, et continue ainsi d’écrire. Finalement, c’est un nouvel album qui prend forme : Flowers for Vases / descansos. Deux noms dûs à des inspirations différentes, mais au sens cohérent. Le premier lui vient d’une vieille liste de courses où la jeune femme marque donc “des fleurs pour les vases” après avoir jeté les fleurs mortes qu’elle avait chez elle. Le deuxième sort du livre Women Who Run with the Wolves: Myths and Stories of the Wild Woman Archetype, par Clarissa Pinkola Estes. Elle explique dans les colonnes du magazine American Songwriter : “L’auteur parle de comment on crée nos propres descansos (mot en espagnol qui signifie un point de repos, d’enterrement, ndlr) quand on a des choses qui meurent dans sa vie. Il faut les laisser derrière nous et continuer de vivre. On rend hommage à là où on était, puis on passe à autre chose.” Plus vulnérable encore et plus intime que le précédent, le disque revisite les moments importants qui ont fait de l’artiste la personne qu’elle est aujourd’hui, de sa fuite avec sa mère d’un beau-père “vraiment horrible” (Inordianary), à la fin de son propre mariage (Asystole).
“C’est le résultat de toutes les leçons que j’ai apprises à travers plusieurs relations où j’avais l’impression… que mon corps se rongeait lui-même”, résume-t-elle dans son échange avec Zane Lowe. Des chansons tout en poésie et mélancolie, autant dans les mots que dans les mélodies. Tout ce qu’on peut y entendre a été composé, chanté et joué par elle-même, dans sa maison à Nashville. Une tâche qui n’a pas toujours été simple, comme en témoigne le producteur de l’album, Daniel James. “Des voisins qui posent un nouveau toit, le bruit du réfrigérateur, devoir éteindre la climatisation à chaque prise, Alf qui mordille son os”, détaille-t-il dans une publication sur Instagram. Mais des couvertures façonnées en un petit isoloir et beaucoup d’attention, et le tour est joué. Le son qui en ressort est épuré, maîtrisé. Simple, sans être simpliste, il accompagne comme il faut la puissance et la sensibilité du texte, et nous transporte dans le monde de l’autrice-compositrice. Dans la continuité des “self-serenades”, Flowers for Vases tend vers le folk par moments, est un peu country parfois, mais finit sur une note rock sans conteste dans Just A Lover, rappelant les racines de son groupe. Les quelques intros en lo-fi rajoutent une jolie touche de “fait-maison”. Celle de HYD, avec Williams qui réagit à un avion qui passe au-dessus alors qu’elle s’enregistre, décroche même un sourire.
Son Folklore à elle ?
Un tel projet est une première pour la frontwoman de Paramore. Parce qu’elle y est autant compositrice, chanteuse que musicienne, mais aussi pour le… calme de la musique qu’elle y présente. Il semble que la tentation de la guitare acoustique et du piano est forte chez les artistes à l’isolation. Impossible de ne pas penser à Taylor Swift avec Folklore, sorti l’été dernier, également made in confinement, à la maison, et dont Pop! vous a déjà parlé auparavant. Hayley Williams a elle-même fait la comparaison en janvier, avant même d’annoncer la sortie de son album. Dans une vidéo postée sur Instagram (maintenant supprimée), elle plaisante : “On n’a pas besoin de batterie si ceci est mon Folklore.” Loin d’être une tendance, cependant, c’est plutôt logique que des musiciens-auteurs-compositeurs se tournent vers leurs instruments de base, à portée de main, chez eux. Il n’empêche que ces deux œuvres restent différentes et uniques, chacune représentative des meilleures qualités d’écriture de son autrice. Mais leur juxtaposition est intéressante parce qu’elle montre deux façons différentes, mais pas contradictoires, de survivre à l’isolement : se plonger dans la fiction (Folklore) et/ou affronter ses propres pensées et démons (Flowers for Vases / descansos).
All I ever had to say about love is a sad song / I get off on telling everybody what went wrong / It makes me feel like the pain had a purpose / Keeps me believing that maybe it’s worth it” (“Tout ce que j’ai toujours eu à dire de l’amour est une chanson triste / Je prends du plaisir à raconter à tout le monde ce qui a mal tourné / Ca me donne l’impression que la peine avait un but / Me laisse croire que peut-être ça en valait la peine”) – Trigger
Flowers for Vases / descansos a beau être fait surtout de tristesse et de nostalgie, d’une certaine façon, c’est un album de self-love comme Hayley Williams n’en a jamais écrit auparavant. Avoir la volonté de reconnaître et d’affronter ses émotions, son passé et ses pensées est la plus grande preuve d’amour qu’on peut présenter à soi-même.